Biographie : Enzo Ferrari
Par Philippe Laguë
Résumer la vie d’Enzo Ferrari n’est pas une tâche facile : celui qu’on pourrait qualifier de « Pape de l’automobile » fait partie de ces personnages plus grands que nature, qui ont atteint le statut de mythe de leur vivant. Aucun acteur de premier plan de l’industrie automobile n’a jamais eu l’aura (ni la stature) du légendaire Commendatore.
Enzo Anselmo Ferrari naît en 1898 dans les faubourgs de Modène, au cœur d’une région, l’Émilie-Romagne, qui deviendra - en grande partie grâce à lui - le berceau du haut de gamme de l’industrie automobile italienne.
Sa vie prend un tournant lorsqu’il assiste, à l’âge de 10 ans, à sa première course automobile, en compagnie de son frère et de leur paternel. « J’ai ressenti une violente émotion », dira-t-il, en évoquant ce premier contact avec la course, au circuit de Bologne.
Son destin sera aussi parsemé de tragédies : son frère et son père meurent tous deux lors d’une épidémie de grippe, en 1916. L’année suivante, alors que la Première Guerre mondiale fait rage, le jeune Enzo est appelé sous les drapeaux. Atteint à son tour de la grippe, il n’ira pas au combat.
Après la guerre, il est démobilisé et tente de se trouver du travail du côté de Turin, puis de Milan, où il devient d’abord pilote d’essai, puis pilote de course pour CMN (Costruzioni Meccaniche Nazionali).
En 1920, il intègre les rangs de la prestigieuse marque Alfa Romeo, à laquelle il sera associé près de 20 ans – comme pilote, puis comme directeur sportif. La Scuderia Ferrari voit officiellement le jour en 1929 mais elle continue de gérer, en sous-traitance, la division course d’Alfa Romeo.
Le Cavallino Rampante devient l’emblème de Ferrari à la suggestion de la comtesse Barracca, mère de l’as de l’aviation italienne Francesco Barracca, qui lui propose d’utiliser le cheval cabré qui était peint sur l’avion de son défunt fils, mort au combat en 1918.
Enzo Ferrari rompt ses liens avec Alfa Romeo en 1939 et devient constructeur après la Seconde Guerre mondiale. Le 12 mars 1947, la première Ferrari, la 125 S, roule pour la première fois. Les succès ne tardent pas : Ferrari gagne les Mille Miglia en 1948, les 24 Heures du Mans en 1949, son premier Grand Prix en 1951 et deux championnats consécutifs de F1 en 1952 et 1953!
La tragédie frappe à nouveau en 1956 : Alfredo « Dino » Ferrari, le fils bien-aimé et successeur désigné, meurt de la dystrophie musculaire. Il n’a que 24 ans. Dévasté, Enzo Ferrari ne s’en remettra jamais et vivra de plus en plus reclus. Juste avant sa mort, les Ferrari père et fils ont eu le temps de concevoir, avec l’aide du légendaire Vittorio Jano, le célèbre V6 Dino, utilisé autant en compétition que dans les voitures de série.
Pour assurer la pérennité de son entreprise, le Commendatore – un titre honorifique qui lui a été décerné par le gouvernement italien en 1927 – cède 50% de ses parts au groupe Fiat, en 1969. Entretemps, la Scuderia Ferrari connaît des fortunes diverses : battue en 1966 par Ford aux 24 Heures du Mans, elle ne remportera plus jamais cette épreuve. Elle se retire ensuite des courses d’endurance à la fin de la saison 1973 pour se concentrer uniquement sur la Formule 1.
Elle connaît aussi de longues disettes en F1 : il s’écoule 11 ans entre les titres de John Surtees (1964) et Niki Lauda (1975); 21 ans entre ceux de Jody Scheckter (1979) et Michael Schumacher (2000). La Scuderia Ferrari n’en est pas moins détentrice de la plupart des records de la F1 : 16 championnats des constructeurs, 15 championnats des pilotes, 228 victoires…
La course amène elle aussi son lot de tragédies. Plusieurs pilotes se tuent au volant d’une Ferrari : Ascari, de Portago, Castellotti, Musso, Collins, Von Trips, Bandini… La mort du pilote québécois Gilles Villeneuve, en 1982, est cependant celle qui ébranle le plus Enzo Ferrari : « Je l’aimais comme un fils », dira-t-il, très affecté.
Malgré les traversées du désert, malgré les drames, la compétition est au centre de l’univers d’Enzo Ferrari, ce qui donne un sens à sa vie; il n’a jamais caché que ses activités de constructeur de voitures de sport haut de gamme avaient comme unique fonction de financer son écurie de course automobile.
La marque Ferrari, elle, a survécu au décès de son mythique fondateur, en 1988. Sous la gouverne de son successeur, Luca Cordero di Montezemolo, elle a connu une véritable renaissance dans les années 90. Pour ses 70 ans, elle affiche une santé resplendissante, avec des sommets historiques de production (plus de 8000 véhicules par année) et une rentabilité en constante croissance. Presque 30 ans après sa mort, l’héritage d’Enzo Ferrari continue de fructifier.