Essai routier : Dodge Challenger
Par Philippe Laguë
(Photos : François Prud’Homme)
La nostalgie dans le tapis!
Ah, les muscle cars… Ils ont fait rêver les ti-culs de ma génération, ces gros bolides américains avec d’aussi gros V8, capables d’accélérer plus vite que des GT italiennes pour le dixième du prix. Évidemment, la comparaison s’arrêtait là : ils ne freinaient pas et la tenue de route était un concept abstrait. (Elles ont d’ailleurs souvent servi de cercueils mais ceci est une autre histoire…)
Chrysler avait une belle brochette de muscle cars dans sa gamme : Charger, Challenger, Barracuda, Super Bee, Roadrunner… Des noms évocateurs pour ceux et celles qui sont nés entre 1950 et 1970. On associe ces modèles à l’une des plus belles périodes de l’histoire (tourmentée) de ce constructeur et plusieurs d’entre eux valent d’ailleurs une petite fortune aujourd’hui : dans les ventes aux enchères, ils se maintiennent dans les six chiffres.
Parmi les muscle cars célèbres, seule la Mustang a poursuivi sa carrière de façon ininterrompue. Le premier choc pétrolier de 1973 a sonné le glas de cette espèce automobile. Dans les années qui ont suivi, ils ont disparu un à un. Les Camaro et Firebird ont survécu plus longtemps, pour finalement disparaître au tournant du XXIe siècle.
Chez Chrysler, le moratoire a duré une trentaine d’années. Mais le succès fracassant de la Mustang 2005, avec son style néo-rétro, a forcé les deux autres constructeurs américains à réagir. La nostalgie est un formidable outil de marketing et GM a joué sur cette corde à son tour en ressuscitant la Camaro. Chrysler avait aussi l’embarras du choix pour piger dans ses anciennes appellations et c’est la Challenger qui a été déterrée. (Oubliez la Charger qui est devenue une berline. Puissante, certes, mais une berline quand même.)
Copier-coller
Comme Ford avec la Mustang, Chrysler a joué la carte de la nostalgie à fond avec la Challenger. En la regardant de face ou de profil, on a l’impression qu’ils ont appuyé sur les fonctions « copier » et « coller ».
Comme son ancêtre, la Challenger du XXIe siècle est un coupé trois volumes, large et intimidant. Tendance oblige, la ceinture de caisse est cependant plus haute, ce qui pénalise, et pas qu’un peu, la visibilité arrière – une lacune exacerbée par l’énorme pilier C. Cochez la caméra de recul dans la liste des options ou suivez un cours de camionnage.
Par contre, quelle gueule! Même si je suis un fan fini de la Mustang, je confesse que la Challenger est ma préférée, sur le plan esthétique. Si vous avez la fibre nostalgique, comme l’auteur de ces lignes, cette copie quasi-conforme de l’originale, celle qui nous a fait fantasmer dans Vanishing Point (Point limite zéro, film-culte de mon adolescence), va vous chercher aux tripes, c’est sûr.
Déco rétro
Le voyage dans le temps se poursuit lorsqu’on prend place à bord en ouvrant d’ÉNORMES (et lourdes) portières, comme en 1970…
À l’intérieur, c’est large – vraiment large ; la planche de bord est massive et le volant, énorme lui aussi. L’ergonomie, naguère un concept abstrait à Detroit, est cependant en phase avec notre époque. Les commandes sont bien disposées et faciles à utiliser, avec leurs gros boutons.
Une bonne main d’applaudissements pour le système d’infodivertissement UConnect, qui demeure mon préféré, toutes marques confondues. C’est vraiment le plus convivial, parole de techno-idiot!
La finition et la qualité de construction constituent, elles aussi, une agréable surprise, au point où on se demande si c’est le même constructeur qui, hier encore, nous a donné les Caliber, Sebring et autres Cirrus…
À l’avant, les larges baquets – tout est format géant dans l’habitacle – ont aussi une allure rétro sauf qu’ils procurent un excellent support, tant latéral que lombaire, ce qui n’existait pas à l’époque.
Chose rare, la banquette arrière est aussi confortable avec ses sièges bien sculptés qui sont presque des baquets eux aussi. Ce qui est ridicule, par contre, c’est le dégagement pour la tête et les jambes. Que l’espace soit aussi compté dans un véhicule de ce format est incompréhensible, que dis-je, inexcusable!
La Challenger est la plus grosse des trois muscle cars américains; elle aurait facilement pu être la plus spacieuse. Heureusement, le coffre arrière, lui, est conforme aux dimensions du véhicule.
Soft Rock, Classic Rock, Hard Rock et Heavy Metal
En entrée de gamme, on propose le V6 Pentastar, utilisé à toutes les sauces chez Chrysler. D’une rare polyvalence, ce moteur est l’un des meilleurs de l’histoire de ce constructeur, rien de moins. Qu’on le loge sous le capot d’une berline, d’un VUS ou d’une camionnette, ce V6 de 3,6 litres offre toujours un excellent rendement.
Notez que la traction intégrale fait désormais partie du menu, mais elle est réservée exclusivement à la version GT, à moteur V6 et boîte automatique. Bref, c’est la version soft rock de la Challenger.
Malgré le poids de la bête, les 305 chevaux dudit V6 suffisent amplement à la tâche mais pour les montées d’adrénaline, il faut aller du côté des V8.
Le son du moteur d’une sportive est aussi important que celui du guitariste dans un groupe rock. Et dans le cas des muscle cars, c’est du gros rock pesant. La Challenger verse autant dans le rock que le hard rock avec ses V8 HEMI de 5,7 et 6,4 litres. Puissance respective : 375 et 485 chevaux.
Le heavy metal et ses variantes les plus extrêmes sont aussi au menu, avec les délirantes version Hellcat (707 chevaux) et Demon (jusqu’à 840 chevaux). Ces chiffres surréalistes viennent de leur V8 de 6,2 litres suralimenté par un compresseur.
Personnellement, je me contenterais du V8 « 392 » (6,4 litres) de la version R/T Scat Pack que j’ai pu conduire l’été dernier et qui émet une sonorité bien ronde, moins gutturale que celle des Mustang ou Camaro. Les V8 HEMI m’impressionnent aussi par leur souplesse.
Les HEMI sont de superbes moteurs, plus raffinés et moins sauvages que ceux de leurs ancêtres tout en étant aussi puissants et généreux en couple. Ils vous permettront aussi d’accumuler beaucoup de points avec les pétrolières...
La boîte manuelle ajoute à la saveur rétro car elle demeure un certain effort, surtout pour la jambe gauche. L’embrayage, vous l’aurez compris, est très ferme; dans un bouchon de circulation, vous allez souffrir. À mon âge vénérable, j’opterais pour la boîte automatique mais je dois quand même confesser que j’ai un beaucoup de plaisir à jouer du levier. C’est juste qu’en vieillissant, on n’a moins le goût de faire ça à tous les jours…
Même si les données du constructeur promettent une consommation moyenne de 13,9 litres au 100 kilomètres, je n’ai pas réussi à descendre sous la barre des 15 litres – et ce, en respectant la vitesse tolérée sur nos routes.
Évidemment, il y en aura pour dire que ces véhicules sont un anachronisme; c’est tout à fait vrai et c’est pour ça qu’on les aime! Je ne veux pas vivre dans un monde où il n’y aurait que des Prius sur la route. Je ne suis pas encore rendu là. (Et je doute d’y arriver un jour…)
Plus lourde que l’originale
Le format et le poids constituent les deux plus sérieux handicaps de la Challenger. On est à des années-lumière de la philosophie du « light is right » si chère à Colin Chapman, le père des Lotus. Imaginez, la Challenger du XXIe siècle est plus lourde que l’originale!
Il faut dire qu’elle repose sur le châssis de la Chrysler 300 et on a justement l’impression de conduire une version 2-portes de cette grosse berline. L’amortissement souple de la version de base (et même celui de la R/T quand il n’est pas en mode Track) nous ramène lui aussi dans les années 70.
Sur un parcours sinueux, la Challenger souffre de la comparaison avec les versions plus sportives des Mustang et Camaro.
Grâce à des réglages de suspension plus sportifs et une monte pneumatique plus agressive, les R/T et SRT ont plus de mordant et de fermeté et défient les lois de la physique. Mais une petite cure minceur, lors du de la dernière mise à jour, en 2015, aurait été grandement bénéfique.
En revanche, c’est la plus confortable du trio. Celui ou celle qui achète une Challenger pour frimer ou se rappeler le bon vieux temps sera comblé par la douceur de roulement de ce gros coupé dont le châssis, ne l’oublions pas, est d’origine Mercedes. Même s’il commence à dater, il fait encore le travail.
Verdict
Dans le monde de plus en plus aseptisé qui est le nôtre, la Challenger est tout sauf politiquement correcte. Elle fait grimacer les bien-pensants et autres tenants de la nouvelle morale. Et en bonne rebelle, elle est charismatique, que dis-je, magnétique, de sorte qu’on finit toujours par lui pardonner ses travers. Si je devais choisir un des trois muscle cars pour traverser les États-Unis d’est en ouest, ce serait elle, en raison de son confort de roulement et du ronronnement de son V8. Comme Kowalski dans Vanishing Point…
Fiche technique
Véhicule d’essai : Dodge Challenger R/T Scat Pack
Moteur : V8 HEMI 6,4 litres
Puissance : 485 ch
Couple : 475 lb-pi à 4 200 tr/min
Transmission : boîte de vitesses manuelle à 6 rapports
Consommation moyenne : 15 litres au 100 km
Prix de base : 49 695 $
Prix du véhicule d’essai : 63 320 $