Essai routier de l’Aston Martin DB11

Essai routier de l’Aston Martin DB11

Par Philippe Laguë
(Photos et vidéo : François Prud’Homme)

Quintessence

Présentée l’année dernière, la DB11 remplace la DB9, dont la carrière a tout de même duré une douzaine d’années. Entre les deux, il y a bien eu une DB10 mais un seul client a eu le privilège de la conduire et pas n’importe lequel : James Bond. L’agent le moins secret de la planète est indissociable de la marque britannique depuis Goldfinger (1964), troisième volet de la plus longue franchise du cinéma (24 films). On a pu voir la DB10 dans Spectre, le dernier en date de la série (sorti en 2015). Pour la petite histoire, dix exemplaires de la DB 10 ont été construits mais huit d’entre eux ont été détruits pendant le tournage…

Évolution ou stagnation?

Aucun doute possible sur l’identité de la bête : la DB11 s’inscrit dans la lignée des Aston Martin des 25 dernières années – plus précisément depuis l’introduction de la DB7, en 1993. Ce superbe design, signé Ian Callum, a laissé une empreinte profonde : saluée comme une des plus belles voitures de son époque, la DB7 a aussi permis à Aston Martin de renouer avec la rentabilité. Un succès à la fois critique et commercial, donc.

L’envers de la médaille, c’est que toutes les Aston Martin se ressemblent depuis ce temps. C’est encore plus vrai pour un œil profane, mais même pour les connaisseurs, ce n’est pas toujours évident : si on regarde rapidement, il est facile de confondre la nouvelle DB11 avec la DB9 ou l’actuelle Vanquish. Les adeptes du verre à moitié plein diront qu’elles sont toutes belles et que c’est un heureux problème ; ils n’ont pas tort.

En revanche, le style Callum commence à dater et le temps est venu d’entreprendre un nouveau cycle. Ce qui viendra peut-être avec le renouvellement des Vantage et Vanquish, tous deux prévus d’ici l’an prochain. À moins que l’extravagante Valkyrie ne soit le signe annonciateur de la prochaine révolution à Gaydon…

Les cycles précédents

Parlons-en, du design. Un bref retour en arrière permet de constater que ces cycles ont une longue durée chez Aston Martin mais qu’ils ont aussi une fin. Le studio milanais Carrozzeria Touring nous a donné les légendaires DB4, DB5 et DB6 des années 60 ; dessinée à l’interne par William Towns, la DBS a ensuite marqué une rupture de style. Rebaptisée tout simplement V8 en cours de route (et déclinée à toutes les sauces), elle a traversé trois décennies. Aston Martin, il est vrai, a longtemps été en mode survie et n’avait pas les moyens de développer un autre modèle.

L’arrivée de Ford, en 1987, a littéralement sauvé la marque et assuré sa pérennité. Peu de temps après, Ian Callum, alors chez TWR, s’est vu confier le design de la remplaçante de la vieillissante V8.

De toute façon, le point, ici, n’est pas de débattre de la beauté de la DB11 : elle est magnifique. Gracieuse, racée, elle incarne les valeurs qui définissent une Aston Martin. Il suffisait de voir les yeux écarquillés et les nombreuses marques d’admiration pendant notre essai pour constater que nous étions à bord d’un objet de désir, d’une sculpture sur roues qui décroche les mâchoires. Et qui a sans doute causé plusieurs torticolis. Cela dit, il faut aussi évoluer.

Distinction britannique

Classe. Voilà un mot clé du vocabulaire Aston Martin. La marque britannique fait partie du Panthéon de l’automobile, au même titre que Rolls Royce, Bentley, Jaguar, Porsche ou la Sainte Trinité italienne (Ferrari-Lamborghini-Maserati). Des marques au sang bleu, qui forment une véritable aristocratie en raison de leur âge vénérable et de leur glorieux passé. On qualifie souvent les Aston Martin de « Ferrari anglaises » mais toute comparaison s’arrête là : l’une et l’autre incarnent leur pays d’origine, tant par leur style que par leur tempérament.

Cela dit, il y a des incontournables pour une GT, peu importe son origine. Le cuir, par exemple. Dans la DB11, il est omniprésent et, n’en doutez pas, d’une qualité exceptionnelle. Nos sens - la vue, l’odorat et le toucher - le confirment. Les coutures sont bien en évidence et c’est voulu ainsi ; à partir de là, le choix des couleurs et des combinaisons est infini… Nous sommes dans l’univers de la haute couture, mais aussi de la personnalisation. Vous êtes plus bois ou fibre de carbone? Vous avez le choix.

Cette distinction toute britannique imprègne cependant l’habitacle. L’excès d’opulence a été soigneusement évité et on ne dénote aucune faute de goût. L’écran qui intègre la navigation et le système d’infodivertissement est le seul emprunt à Mercedes ; sinon, tous les codes de la marque sont respectés, incluant l’absence de levier sélecteur pour passer les rapports, remplacés par des boutons-poussoir au tableau de bord. On aime ou pas…

Terminons avec la finition, qui a longtemps fait l’objet de sarcasmes (mérités) lorsqu’il était question des voitures anglaises. La qualité d’assemblage était souvent artisanale, voire folklorique, et l’ergonomie était un concept abstrait. Aucune trace de ce passé moins glorieux dans la DB11 : même si nous disposions d’un exemplaire de pré-production, l’assemblage était à l’équerre et aucun irritant ergonomique n’a été décelé. Bien sûr, les places arrière sont symboliques, mais la DB11 est une 2+2. Si vous voulez quatre vraies places, achetez-vous une berline, pas une GT.

Souvenirs

En 25 ans de carrière, j’ai conduit près de 3000 voitures. Très peu avec des V12, cependant : elles se comptent sur le bout des doigts. Ma première : une Jaguar XJS, en 1990. Je n’étais pas encore chroniqueur auto et elle n’était pas neuve mais bon, c’était une double initiation : la première fois que je conduisais une Jag et ma première expérience avec un moteur ayant plus de huit cylindres. À San Diego, en plus… Inoubliable!

L’année suivante, je commençais dans le métier et j’ai pu mettre la main sur une BMW 850. 300 chevaux pour un V12, ça peut paraître dérisoire aujourd’hui mais le couple ne semblait pas avoir de limite – et ce, malgré le surplus de poids de cet énorme coupé. Ensuite, il y a une Lamborghini Diablo, lors d’une visite à l’usine de Sant’Agata, en 1998 ; puis deux Ferrari (456 GT et 550 Maranello), au début des années 2000.

J’ai dû attendre plus de 10 ans avant de conduire une autre voiture mue par un V12. J’avais été invité au lancement de la Rapide il y a trois ans, à Atlanta. C’était la première fois que je conduisais une Aston Martin mais l’expérience n’avait guère été concluante : nous étions confinés sur un petit circuit, avec des instructeurs qui nous aboyaient dans les oreilles. Le son du gros V12 atmosphérique, par contre, m’a laissé un souvenir impérissable.

Sous le capot

Tout ça pour dire que je n’avais conduit qu’une demi-douzaine de voitures à moteur V12 en un quart de siècle. C’est donc un événement à chaque fois. Conduire une Aston Martin en est un aussi : c’était seulement ma deuxième à vie. Et pas n’importe laquelle : les deux exemplaires mis à la disposition des chroniqueurs auto avaient été prêtés au deux pilotes de l’écurie de F1 Red Bull pendant la semaine du Grand Prix du Canada. Pour ma part, j’ai « hérité » de celle de Max Verstappen. (Pour l’anecdote, j’avais aussi conduit la Mercedes CLK 55 AMG prêtée à David Coulthard, il y a une quinzaine d’années. Pour un fou de F1 comme moi, c’est une valeur ajoutée!)

Le V12, donc. D’abord, les chiffres : 5,2 litres, 600 chevaux et 516 livres-pied de couple. Rien de moins. Contrairement au V12 atmosphérique de 6 litres des DB9 et Rapide, celui de la nouvelle DB11 est gavé par deux turbocompresseurs. La suralimentation, c’est une première chez Aston mais que les puristes se rassurent, il ne s’agit pas d’un bloc AMG retouché. Je précise parce que Daimler (donc Mercedes) est le nouveau partenaire du seul constructeur britannique indépendant. Le nouveau V12 est 100% Aston et comme ses prédécesseurs, il a été conçu et construit par les ateliers Cosworth à Cologne, en Allemagne. Ceux qui connaissent bien la marque auront fait le lien avec Ford, ex-propriétaire d’Aston Martin.

Si la cylindrée du nouveau V12 est inférieure à celle de son prédécesseur, la puissance est tout de même en hausse, grâce aux deux turbos. Pour la première fois, le cap des 600 chevaux est atteint, ce qui fait de la DB11 la plus puissante de l’histoire de cette marque dont l’une des raisons d’être, après tout, est de construire des voitures rapides. La poussée du V12 est à l’avenant mais ce n’est rien de brutal, même lorsqu’on opte pour le plus sportif des trois modes proposés (GT, Sport et Sport +).

Si vous aimez les bêtes sauvages, vous n’êtes pas à la bonne adresse : la DB11, en bonne Aston Martin, incarne la quintessence d’une GT, au sens véritable du terme (Grand tourisme). Ce qui ne l’empêche pas d’accélérer comme une flèche, comprenons-nous bien ; mais elle le fait, comme tout le reste, avec grâce. Le sport extrême, ce n’est pas son truc ; elle laisse ça aux versions radicales de la Porsche 911, par exemple.

S’il y a une déception, c’est du côté de la sonorité. Encore une fois, tout est relatif : son chant a tout pour faire vibrer le commun des mortels. Mais il est moins rauque, moins guttural que celui du V12 atmosphérique. La faute à la suralimentation, évidemment : les turbos assourdissent le bruit d’un moteur. Ils augmentent la puissance mais étouffent le son. On ne peut pas tout avoir.

Ils permettent aussi de diminuer les émissions polluantes et si vous cherchez la vraie raison de leur présence, elle est là.

Grande routière

Pour la structure de la DB11, Aston Martin a utilisé l’aluminium, matériau désormais incontournable pour tout véhicule voulant offrir des prestations routières supérieures, en raison de sa légèreté et de sa rigidité. Bardée de toutes les commodités et accessoires de luxe, elle pèse néanmoins 45 kilos de plus que la DB9. Difficile d’y échapper : en bonne GT, la DB11 doit aussi être une routière confortable. Et elle l’est : après plus de trois heures derrière le volant, à un rythme soutenu, on en débarque frais comme une rose.

En mode GT, la DB11 se transforme en voiture de luxe et ses superbes sièges contribuent à amener l’expérience de conduite à un très haut niveau. Ces baquets, il faut le dire, sont tout simplement parfaits : ils enveloppent le corps sans l’emprisonner et leur rembourrage a, de toute évidence, été savamment étudié. En plus, ils sont beaux : ils pourraient très bien se retrouver dans la vitrine d’un designer de meubles haut de gamme.

Si on opte pour une conduite plus sportive, la DB11 assure : les modes S (Sport) et S+ permettent de calibrer la boîte de vitesses, la direction et les trains roulants en fonction des exigences du conducteur. Le train avant est d’une précision irréprochable, tout comme la direction à assistance électrique et les assistances électroniques se chargent de gérer les rebuffades du train arrière.

Encore une fois, tout se fait à la perfection : les systèmes d’aide au pilotage ne sont jamais intrusifs et font preuve d’une efficacité absolue. Et puis, soyons francs, elles sauvent sans doute bien des vies : les propriétaires de voitures de prestige ne sont pas tous des Senna…

En résumé, la DB11 est une GT rapide, précise, confortable et facile à conduire, qui dissimule son poids avec beaucoup de doigté.

Conclusion

Depuis sa création, en 1913, Aston Martin a connu des hauts et des bas. Sa mort a été annoncée plus d’une fois mais elle a toujours survécu, sauvée par des hommes d’affaires, voire des mécènes, ou de grands constructeurs. Depuis 2007, elle est la propriété d’un consortium mené par Prodrive, la firme britannique de David Richards qui a connu ses heures de gloire en préparant les Subaru du Championnat du monde des rallyes dans les années 90. Des fonds d’investissements italien et koweitien détiennent la majorité des capitaux. La part de Daimler AG s’élève à 5% mais elle inclut un partenariat technique entre les deux marques et les rumeurs veulent que la participation au capital pourrait aller en augmentant.

L’avenir s’annonce donc prometteur pour la légendaire marque britannique : le renouvellement de la gamme sera complété avec l’arrivée des nouvelles Vantage et Vanquish en 2018, auxquelles s’ajoutera, l’année suivante, un VUS. Qu’on le veuille ou non, c’est rentable et toutes les marques de prestige en comptent désormais, à l’exception notable de Ferrari.

Ces bonnes nouvelles ne doivent pas occulter les pertes financières, considérables, des dernières années mais Aston Martin mise sur ses nouveaux modèles et une gamme élargie pour retrouver le chemin de la rentabilité. C’est l’objectif d’Andy Palmer, grand patron de la marque depuis l’année dernière.

Première étape de ce renouveau, la DB11 envoie le bon signal. À défaut d’être révolutionnaire, elle incarne la quintessence de ce que doit être une Aston Martin : belle, rapide, confortable et exclusive. Avec un V12, en plus. Dieu merci, ces anachronismes existent encore.

Fiche technique Aston Martin DB11

Moteur : V12
Cylindrée : 5,2 L
Puissance : 600 ch
Couple : 516 lb-pi à partir de 1 500 tr/min
0-100 km/h : 3,9 s
Vitesse maximale : 322 km/h
Prix de base : 254 195 $
Prix du véhicule d’essai : environ 330 000 $