F1 : les écuries les plus titrées
Par Philippe Laguë
Le championnat du monde de Formule 1 existe depuis 1950 mais il s’agissait, à l’origine, d’un championnat réservé aux pilotes. Le championnat des constructeurs n’a été instauré qu’en 1958. Depuis cette date, la F1 a officiellement deux championnats. Les historiens préciseront toutefois que le véritable championnat des constructeurs automobiles avait pour théâtre les épreuves d’endurance et portait le nom de championnat du monde des voitures de sport (également connu sous les appellations championnat du monde des marques et championnat du monde d’endurance). L’arrivée des grands constructeurs automobiles en F1, au tournant du XXIe siècle, a cependant rebrassé les cartes.
1. Ferrari
Contrairement aux autres dynasties du sport professionnel, la Formule 1 ne survivrait probablement pas si la Scuderia Ferrari décidait de mettre fin à ses activités. C’est dire comment la marque au Cheval cabré pèse lourd dans la balance : elle est indissociable de la F1. Seule écurie à avoir participé aux 68 saisons de la F1 moderne, elle revendique le plus grand nombre de championnats des pilotes (15) et des constructeurs (16). Cette longévité a aussi été marquée par de longues disettes, pendant lesquelles elle n’a remporté aucun championnat : la première a duré 10 saisons (1964 à 1975) et la suivante, 15 (1983 à 1999). Et son dernier championnat des constructeurs date de 2008… Malgré tout, la Scuderia a toujours attiré les grands noms : Fangio, Lauda, Mansell, Prost, Schumacher, Vettel… Pour un pilote de F1, un titre de champion au volant d’une Ferrari est une valeur ajoutée. Et un formidable défi personnel, car il faut souvent naviguer dans des eaux agitées : la pression est plus forte qu’avec n’importe quelle autre équipe et la gestion, parfois folklorique, parfois chaotique et toujours très politique. Nous sommes en Italie, au royaume de la Commedia dell’arte, mais aussi du mélodrame et de l’intrigue... Ceci explique également pourquoi certains pilotes ont fui la Scuderia à toutes jambes (Fangio, notamment) et que d’autres refusent carrément d’y aller. Ferrari, c’est Ferrari…
2. Williams
Si Ferrari est la plus vieille écurie du plateau, Williams est la seule – hormis la jeune structure Haas – dont le fondateur est toujours aux commandes. Septuagénaire (75 ans), lourdement handicapé (à cause d’un accident de la route en 1986), Frank Williams vit par et pour l’équipe qui porte son nom. Sa fille, Claire, en assure la gestion au quotidien mais le père n’est jamais très loin. Officiellement, l’entreprise Frank Williams Racing Cars Ltd voit le jour en 1966 mais elle effectue le grand saut en F1 en 1969. À partir de là, Frank Williams va la porter à bout de bras, croupissant en fond de grille et frôlant la faillite plus d’une fois. Jusqu’à l’arrivée providentielle d’un généreux commanditaire, en 1978 : la compagnie aérienne arabe Saudia. Cette même année, Williams, qui faisait auparavant courir des châssis autres que les siens (De Tomaso, Iso, March) devient constructeur à part entière. Le succès ne tarde pas, avec les titres constructeurs et pilotes (Alan Jones) en 1980. Mais pour Williams, le championnat des constructeurs est le plus important. Ce qui explique, en partie, sa faible capacité de rétention : Piquet, Mansell, Prost, Hill et Villeneuve ont tous quitté après avoir été sacrés champions au volant d’une Williams. L’écurie britannique n’a, par ailleurs, gagné aucun championnat depuis 1997. Elle n’en demeure pas moins la seconde plus titrée de l’histoire de la F1, avec 9 titres constructeurs et 7 titres pilotes. Pour la petite histoire, Williams est aussi la seule écurie à voir aligné deux pilotes canadiens, Jacques Villeneuve et Lance Stroll.
3. McLaren
McLaren et Williams ont des points en commun : la nationalité, l’ancienneté et le palmarès. Il convient cependant de préciser que le regretté Bruce McLaren était Néo-Zélandais, mais son entreprise était basée en Angleterre, comme la plupart des écuries de F1. Sinon, les similitudes s’arrêtent là. Contrairement à Williams, McLaren a couru sur plusieurs fronts : en plus de 8 titres constructeurs et 12 titres pilotes en F1, son palmarès compte aussi cinq championnats dans la défunte série Can Am et trois victoires aux 500 Milles d’Indianapolis. Pilote et constructeur, comme Jack Brabham, Bruce McLaren n’aura cependant pas le bonheur de voir son écurie dominer la F1 : il disparaît tragiquement en 1970, lors d’une séance d’essais privés. L’Américain Teddy Mayer lui succède et c’est sous sa gouverne que McLaren gagne ses premiers championnats en 1974 (pilotes et constructeurs), avec Emerson Fittipaldi, et 1976 (pilotes), avec James Hunt. C’est toutefois Ron Dennis, arrivé aux commandes en 1980, qui va hisser McLaren à un autre niveau, pour en faire une des puissances de la F1. Le Britannique va réussir à recruter les meilleurs pilotes (Lauda, Prost, Senna, Häkkinen, Raikkonen, Hamilton, Button, Alonso) tout en se montrant loyaux avec la plupart d’entre eux – à l’opposé de Frank Williams. Le dernier titre constructeur remonte cependant à 1998 et le dernier titre pilote, à 2008. Ron Dennis parti, McLaren entreprend un nouveau chapitre en 2017.
4. Lotus
Même si l’écurie Lotus a connu deux vies, elle restera toujours indissociable de son fondateur, Colin Chapman (dont vous pouvez lire la biographie dans cet ouvrage). Disons seulement que sa créativité, bien appuyée par sa formation d’ingénieur, fait de lui le plus innovateur de ses pairs. Le premier châssis monocoque, c’est lui; les premiers ailerons en F1, c’est lui; l’effet de sol et les jupes, c’est lui. Il est aussi le premier à amener un commanditaire n’ayant aucun lien avec l’automobile (les cigarettes Gold Leaf). Officiellement, Lotus Engineering Co. voit le jour en 1952 mais c’est en 1958 que Chapman décide de faire le grand saut en F1 avec ses propres voitures. Il a été un des concepteurs de la Vanwall et sa première F1 lui ressemble au point d’être surnommée “la mini-Vanwall”. Mini, parce que Colin Chapman applique déjà un principe qui le guidera toujours : “Light is right”. La légèreté avant tout. C’est le légendaire Stirling Moss qui signe les quatre premières victoires d’une Lotus en F1 mais elles ont un goût amer pour Chapman : Moss court pour Rob Walker, une écurie privée, et non pour l’équipe officielle. La cinquième sera la bonne : l’Écossais Innes Ireland gagne le GP des États-Unis, sous les couleurs de Team Lotus. Pourtant, Chapman ne renouvelle pas son contrat à la fin de la saison. Il mise sur un autre Écossais, moins fêtard et plus doué : Jim Clark. Chapman et lui ont une relation fusionnelle, dont les résultats sont éblouissants : “L’Écossais volant” est champion du monde en 1963 et 1965. Cette même année, Clark et Lotus gagnent les 500 Milles d’Indianapolis. Cette fructueuse association s’interrompt brutalement avec la mort de Clark à Hockenheim, en 1968, lors d’une course de F2. Nouveau leader de Lotus, l’Autrichien Jochen Rindt se tue à Monza en 1970 : à ce jour, il demeure le seul champion couronné à titre posthume. Monza semble d’ailleurs porter malheur à Lotus : Clark avait été impliqué dans l’accident mortel de Von Trips, en 1961, qui tua également 15 spectateurs; et c’est sur ce même circuit que meurt Ronnie Peterson, en 1978. Chapman disparaît à son tour en 1982, foudroyé par une crise cardiaque, à l’âge de 54 ans. L’histoire de Lotus se poursuit pendant quelques années, notamment grâce à un certain Ayrton Senna, qui remporte les dernières victoires du Team Lotus. La “phase 1” de cette écurie légendaire se termine en 1994, avec un bilan reluisant : 7 titres constructeurs, 6 titres pilotes et 79 victoires. Lotus renaît en 2010 mais un imbroglio juridique oppose deux écuries utilisant son nom. C’est finalement Lotus F1 Team qui le conserve et Kimi Raikkonen signe les deux dernières victoires d’une Lotus. La “phase 2” se termine avec le rachat, fin 2015, de l’écurie par Renault, qui revient en F1 comme constructeur.
5. Red Bull
Benetton a été la première écurie rachetée par son commanditaire à gagner un championnat. Red Bull a depuis réédité l’exploit, quatre fois plutôt qu’une, devenant ainsi une des meilleures écuries de la F1 actuelle. L’exploit est d’autant plus remarquable que l’écurie austro-britannique n’existe que depuis 2005! Dieter Mateschitz, le richissime fondateur de la marque de boisson énergétique, rachète Jaguar Racing, propriété de Ford à l’époque, en novembre 2004. Il engage l’Écossais David Coulthard, qui amène avec lui expérience et bagage technique, et garde l’Autrichien Christian Klien, déjà commandité par Red Bull lorsqu’il pilote pour Jaguar. Dès la saison suivante, Coulthard offre à Red Bull son premier podium (3e à Monaco) mais c’est l’embauche, cette même année, d’Adrian Newey, ingénieur-vedette de Williams et McLaren, qui va accélérer la progression de l’équipe. La pièce-manquante arrive en 2009 : Sebastian Vettel, un jeune pilote surdoué. Cette année-là, Red Bull gagne ses premières courses : quatre pour Vettel et deux pour son coéquipier, Mark Webber. L’Allemand prend rapidement l’ascendant sur l’Australien et il remporte quatre championnats d’affilée, un exploit que seuls Fangio et Schumacher avaient réussi. La machine est lancée. Vettel rejoint Ferrari en 2015 mais Daniel Ricciardo assure brillamment la relève. Formidable pépinière à talent, la filière Red Bull sort un autre lapin de son chapeau : Max Verstappen qui devient, en 2016, le plus jeune vainqueur de l’histoire de la F1 : 18 ans! Le modèle Red Bull, qui comprend une écurie B (Toro Rosso), d’où proviennent ses pilotes, commence d’ailleurs à faire école.
6. Mercedes
Officiellement, Mercedes a remporté le championnat du monde des constructeurs à trois reprises (2014, 2016 et 2016) mais si ledit championnat avait été en vigueur dès 1950, année de naissance de la F1 moderne, le palmarès de la firme allemande afficherait deux titres de plus. Sans compter ses succès de l’entre-deux guerres, époque au cours de laquelle les voitures de course allemandes (Auto-Union et Mercedes), sont surnommées “les Flèches d’argent” en raison de leur domination. Mercedes revient à la compétition en 1954 et reprend là où elle avait laissé : en deux saisons, l’écurie allemande remporte neuf des douze Grands Prix auxquels elle participe (dont cinq doublés) et son leader, l’Argentin Fangio, est couronné champion deux fois d’affilée. Mercedes participe également aux épreuves d’endurance et c’est lors des 24 Heures du Mans que survient le tragique accident d’un de ses pilotes, Pierre Levegh, dont la voiture est catapultée dans les gradins. Le bilan est effrayant : 82 morts, ce qui en fait l’accident le plus meurtrier du sport automobile. Au terme de la saison, la marque à l’Étoile d’argent se retire de la compétition. Elle revient progressivement en F1 : d’abord comme motoriste, à partir de 1993; puis comme constructeur, après avoir racheté l’écurie championne, Brawn Racing (motorisée par Mercedes), à la fin de la saison 2009. Depuis l’introduction des moteurs hybrides, en 2014, l’écurie allemande est imbattable : trois titres pilotes (Hamilton, deux fois, et Rosberg) et trois titres constructeurs en autant de saisons. En parallèle, Mercedes continue d’assurer la fourniture de moteurs aux écuries Williams et Force India.
7. Cooper
Pour la plupart des gens s’intéressant un tant soit peu à l’automobile, Cooper rime avec Mini. Les passionnés de course savent aussi que la défunte écurie Cooper a joué un rôle important dans l’histoire de la F1 moderne, en devenant la première à gagner des Grands Prix et des championnats avec une monoplace à moteur arrière. En 1959 et 1960, les petites Cooper à moteur Coventry-Climax, avantagées par leur agilité et leur rapport poids-puissance, dominent : elles raflent les titres pilotes (Brabham, deux fois) et constructeurs. L’écurie britannique se retire de la F1 en 1968 mais les célèbres Mini préparées par John Cooper contribuent grandement à sa renommée, s’imposant autant en rallye que sur les circuits. Juste avant de mourir, en 2000, à l’âge de 77 ans, John Cooper est engagé comme consultant par BMW, en voie de racheter Mini. Grâce à cette marque, son nom continue de rayonner.
8. Brabham
On n’est jamais si bien servi que par soi-même. C’est sans doute ce que se dit l’Australien Jack Brabham lorsqu’il décide de créer sa propre écurie. En 1961, il fonde Motor Racing Developments (MRD) avec son compatriote Ron Tauranac. La société est rebaptisée Brabham l’année suivante. C’est toutefois à l’Américain Dan Gurney, coéquipier de Sir Jack, que revient l’honneur de la première victoire, au Grand Prix de France, en 1964. Le circuit de Reims porte chance à cette équipe : c’est là que deux ans plus tard, Jack Brabham devient le premier pilote à gagner un Grand Prix au volant d’une monoplace portant son nom. La saison 1966 est d’ailleurs celle de tous les honneurs : première victoire, premier championnat des constructeurs et troisième championnat des pilotes pour Brabham! Le Néo-Zélandais Denny Hulme récidive l’année suivante et Brabham devient une écurie de pointe pendant une vingtaine d’années. À sa retraite, à la fin de la saison 1970, Jack Brabham vend ses parts à son partenaire Tauranac qui, à son tour, revend l’écurie à un certain Bernie Ecclestone, en 1972. Nelson Piquet obtient ses deux premiers championnats des pilotes avec Brabham et il boucle la boucle en remportant le dernier Grand Prix de cette équipe en 1985, encore une fois en France. Trop occupé à gérer la F1, Ecclestone revend Brabham en 1987 mais l’écurie n’est plus l’ombre de ce qu’elle a été et cesse ses activités en 1992.
9. Renault
Je te quitte, je reviens, je te quitte… L’histoire de Renault en F1 ressemble à une relation amoureuse mouvementée. La marque au losange créé une révolution dès son arrivée en F1, en 1977, en étant la première à utiliser le turbocompresseur. Les F1 de l’époque utilisent des moteurs atmosphériques d’une cylindrée de 3 litres (à 8 ou 12 cylindres) mais la réglementation technique autorise la suralimentation pour les moteurs de 1,5 litre. Les débuts sont laborieux mais les sceptiques sont rapidement confondus avec la victoire historique de Jean-Pierre Jabouille en 1979, à Dijon : une première pour l’écurie et le pilote; et surtout, une victoire « 100% française » (pilote, châssis, moteur), sur un circuit français. Comme celle de Cooper avec son moteur arrière vingt ans plus tôt, la démonstration de Renault convainc et tout le monde s’y met. L’écurie française passe à un cheveu du titre en 1983, avec Alain Prost, mais elle se retire deux ans plus tard, minée par la politique. Renault continue cependant de fournir des moteurs pour les écuries Lotus, Ligier et Tyrrell. Après un hiatus de deux ans, la firme française revient en F1, toujours comme motoriste, de 1989 à 1997, période pendant laquelle elle est associée à 6 titres constructeurs (cinq avec Williams et un avec Benetton) et cinq titres pilotes. Renault rachète finalement Benetton en 2000 et revient comme constructeur, avec deux titres à la clé (2005 et 2006 avec Fernando Alonso). Puis ça recommence : retrait de la F1 comme constructeur entre 2010 et 2015 mais maintien de la fourniture moteur (et quatre autres titres avec Red Bull). En 2016, Renault confirme le rachat de Lotus F1 Team : le troisième chapitre est en train de s’écrire.
Autres écuries championnes
Si le championnat des constructeurs avait été instauré dès le début de la F1 moderne, en 1950, Alfa Romeo aurait été championne les deux premières années : surnommée Alfetta, la 158, dont la conception datait de 1937 (!), était LA machine à battre. À son volant, l’Italien Giuseppe « Nino » Farina et l’Argentin Juan Manuel Fangio sont couronnés champions lors deux premières années d’existence de la F1. Fangio gagne aussi son dernier titre au volant d’une Maserati, en 1957. C’est la défunte écurie britannique Vanwall qui gagne le premier championnat du monde des constructeurs, en 1958. BRM, Matra, Tyrrell, Benetton et Brawn complètent la liste des écuries championnes.